Jamais depuis l’Indépendance de l’Algérie un président n’est allé jusqu’à la fin de son mandat. Entre coup d’État, démission ou décès, chacun d’entre eux a connu une fin tragique. De Benkheda à Bouteflika en passant par Boumediene, Chadli, Boudiaf ou encore Zeroual, tous ont fini par quitter le palais d’El-Mouradia dans des conditions plus au moins dramatiques. Quand ce n’était pas une sortie les pieds devant, le départ des présidents répondait souvent à des luttes claniques dans lesquelles le vert kaki finissait toujours par l’emporter. Il faut dire que cette sorte de malédiction a commencé bien avant l’Indépendance.
En 1961, déjà, Ferhat Abbas, premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), est écarté du pouvoir pour des considérations politiques, alors qu’il y avait été désigné en 1958. Il est vite remplacé par Benyoucef Benkheda qui n’y restera pas plus de treize mois : la crise de l’été 62 a eu raison de lui. Ces deux responsables du GPRA ont connu un sort entaché de vengeance après avoir été pratiquement assignés à résidence par les hommes de Boumediene, celui-là même qui fera appel à Ben Bella élu au suffrage universel en 1963 premier président de la République algérienne démocratique et populaire.
Ben Bella est renversé par Boumediene, alors ministre de la Défense, un coup d’État labélisé “redressement révolutionnaire”, le 19 juin en 1965. Boumediene suspend la Constitution et accélère la création d’un Conseil de la Révolution qu’il dirige lui-même. En 1977, il organise des élections présidentielles qu’il remporte, candidat unique, à 99,38 % des suffrages exprimées. Il décède un an plus tard, le 27 décembre 1978, après une brève maladie.
Au bout d’intenses tractations, l’armée impose Chadli Bendjedid, alors le plus ancien officier supérieur au grade le plus élevé. Élu en février 1979 à la tête de l’État, il est réélu deux fois : en 1984 et 1988. Chadli est à l’origine de l’amendement de la Constitution qui ouvre la porte au multipartisme. À la faveur de cet amendement, les partis politiques de très inégales statures poussent comme des champignons, on en compte jusqu’à 63, dont le Front islamique du salut (FIS, dissous). Après avoir “empoché” les municipales de 1990, le FIS remporte le premier tour des législatives de décembre 1991 et frappe déjà aux portes du pouvoir. Chadli Bendjedid refuse d’annuler les élections ; il est poussé vers la sortie par un groupe de généraux et dépose sa démission le 11 janvier 1992. Cette situation provoque un vide constitutionnel inédit. Le Haut conseil de sécurité annule les élections législatives. Un Haut comité d’État (HCE) est institué qui gère les affaires courantes du pays ; il appelle Mohamed Boudiaf et le désigne président le 16 janvier 1992. Boudiaf est assassiné à Annaba, 6 mois après, le 29 juin 1992. Il est remplacé au pied levé le 2 juillet 1992 par Ali Kafi avant que le HCE ne soit dissout, le 30 janvier 1994.
Liamine Zeroul, ministre de la Défense, est alors promu au rang de chef de l’État avant d’être élu président de la République le 16 novembre 1995 à 61,3% des suffrages exprimés. Suite à un différend avec l’armée, le mandat de Zeroual est écourté. Zeroula, qui affichait son désintérêt des privilèges du pourvoir, annonce sa démission dans un discours à la Nation le 11 septembre 1998, ainsi qu’une élection présidentielle anticipée pour 1999 (initialement programmées pour 2000).
Un conclave de la hiérarchie militaire, instruit par le patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) à l’époque, Larbi Belkhir, fait alors appel à Abdelaziz Bouteflika. Jadis très proche de Houari Boumediene, Bouteflika revient d’une longue traversée de désert. Il est élu le 27 avril 1999 pour, initialement, un mandat de 5 ans, renouvelable une fois. Il en restera 20, à la faveur d’élections douteuses, alignant 4 mandats consécutifs par la grâce à des révisions successives de la loi fondamentale du pays. Son intention de briguer un 5ème mandat lui a été fatale. Mis à mal par une révolte populaire sans précédent, abandonné par ses plus ardents soutiens, en particulier l’ANP elle-même, Bouteflika, malade, aphone et à mobilité réduite, finit par lâcher prise. Il démissionne le 2 avril 2019 et écourte ainsi son mandat qui devait prendre fin le 27 avril à minuit.
Même s’il n’est pas question de superstition, il faut croire que la légende de la malédiction des Tecumseh, célèbre aux États-Unis, touche également l’Algérie. Le prochain Président devra en être averti car, à ce rythme, du commencement on peut augurer de la fin !
Sihem Henine