Après quatre décades entre les plus hautes sphères de l’administration publique et les arcanes de la politique algérienne qui n’a jamais été une sinécure, M. Ahmed Ouyahia va-t-il enfin rendre les armes et disparaître définitivement du portrait ? En a-t-il encore le choix ? Les derniers développements que connait le pays, depuis le début du mouvement populaire exprimé dés le 22 février dernier, attestent qu’«Ouyahia, c’est fini».
Outre son départ forcé de la chefferie du gouvernement, l’ex-Premier ministre se voit désormais sérieusement menacé de perdre son trône au Rassemblement national démocratique (RND) dont la fronde à son encontre ne cesse de prendre de l’ampleur, accélérée il est vrai par la pression de la rue qui n’a jamais porté l’homme «aux sales besognes» dans son cœur. Il a, de ce fait, pu s’en assurer une fois de plus lors de toutes les manifestations, d’abord contre le 5e mandat puis pour le départ des symboles du système. On peut, à ce propos, avancer sans risque de se tromper qu’Ouyahia détient une bonne place parmi les personnalités politiques les plus contestées dans les chants de la foule et sur sles banderoles.
Au sein de son propre parti, les contestataires, dont la liste s’allonge de jour en jour, réclament désormais ouvertement la tête de leur SG qui a régné sans partage sur le RND pendant 17 années, hormis une coupure de trois ans entre 2012 et 2015. Ils exigent la tenue d’un congrès extraordinaire. Il est question de plus de 500 militants et cadres du parti qui ont rejoint la dissidence dans la plupart des wilayas. Pour eux, il est important que le parti s’adapte aux demandes du “mouvement populaire”. Et les premières mesures tombent déjà : Ouyahia perd sa qualité de membre au Conseil de wilaya d’Alger, de bien vile façon. Ce ne sera sans doute pas la pire humiliation : les cadres du RND lui en promettent, en privé comme – pour certains – en public, des vertes et des pas mures !
Mené d’abord par M. Belkacem Mellah, le mouvement de dissidence visant la destitution d’Ouyahia est pris à présent à bras le corps par un grand nombre de militants et de cadres, à commencer par l’un de ses appuis plus fidèles, M. Seddik Chihab, le porte-parole du RND et secrétaire de la wilaya d’Alger, qui a dénoncé ouvertement des méthodes «anciennes» de son secrétaire général dans la collecte de signatures de soutien.
Mort politiquement, sans la moindre chance de renaître de ses cendres, Ouyahia n’aura plus, comme par le passé, l’opportunité de s’éclipser en douce pour revenir par une autre porte. Par l’ampleur du mouvement populaire qui réclame le départ de tous les symboles du régime de M. Bouteflika et l’avènement d’une nouvelle République, il est évident qu’Ouyahia n’a plus de place dans le champ politique algérien et n’aura aucun rôle à jouer à l’avenir : l’Algérie n’en veut pas, elle n’en a jamais voulu, du reste, et il n’a plus de maîtres dans l’ombre ni de desseins obscurs à servir.
Il lui resterait bien à partir en retraite… mais ce n’est pas gagné d’avance : s’il s’avère, comme le suggèrent de nombreux observateurs, qu’il est impliqué dans des malversations, il devra sans doute, tôt ou tard, en répondre devant la justice. Une justice qu’il a lui-même instrumentalisée, selon bien des témoignages, lors de l’opération «Mains propres» menée au milieu des années 1990 contre des dizaines de cadres dont beaucoup ont été injustement emprisonnés et sacrifiés.
Chef du gouvernement à plusieurs reprises sous l’ère de Bouteflika – il là également été du temps de M. Zeroual –, ministre de la Justice et chef de cabinet du président de la République, le parcours provocateur de ce brillant énarque est jalonné de polémiques. Mais cette fois, ses talents d’orateur ne le sauveront pas.
À 67 ans, le retrait définitif d’Ouyahia ne laissera sans doute aucun regret, bien au contraire. Il constituera peut-être l’une des meilleures nouvelles que puisse entendre le peuple algérien en ces temps d’incertitudes.
Liès Bourouis